CHAPITRE XI

Le jeune Jedi filait comme le vent. Il franchit d’un bond la porte donnant sur les jardins et entrevit l’éclair argenté de la robe du président du Conseil. Le vieil homme aux yeux d’un bleu laiteux s’enfonçait sous le couvert des arbres. Obi-Wan partit dans la direction opposée et se faufila à travers le verger.

Il devait quitter l’enceinte du palais, mais certainement pas par la grande porte. Désormais, sa conviction était faite : c’était Giba qui manœuvrait en coulisse pour empoisonner la Reine. Restait à savoir si le prince Beju était au courant. Celui-ci avait paru sincèrement touché de voir sa mère si malade.

Entendant des pas précipités derrière lui, Obi-Wan pressa l’allure. Il était presque arrivé au pied de la haute muraille de pierre qui ceignait le palais.

– Obi-Wan ! Attends-moi, mon ami !

C’était Jono. Obi-Wan marqua une hésitation. Pouvait-il lui faire confiance ? Il en avait envie : il aimait bien le garçon. Mais était-ce vraiment une coïncidence si Giba et Beju avaient fait irruption dans la salle à manger au moment où il s’entretenait avec la Reine ? Jono l’avait-il suivi depuis les jardins avant de courir les prévenir ? La mise en garde de Qui-Gon alourdissait son cœur.

– Je t’en prie ! lança Jono.

D’un instant à l’autre, il allait atteindre le coude du sentier. Et s’il était accompagné par des gardes ? Obi-Wan avait encore le temps de s’enfuir…

Je savais que tu reviendrais… J’ai longtemps attendu d’avoir un ami, Obi-Wan.

Le jeune Jedi se rappelait la lueur de sincérité mêlée de mélancolie qui avait brillé dans le regard de Jono. Il avait confiance en lui. Obi-Wan devait le payer de retour. Il s’arrêta net.

Jono surgit, ses cheveux blonds volant au vent de la course. À deux doigts de percuter Obi-Wan, il trébucha et s’affala de tout son long.

– Aïe ! s’écria-t-il en se frottant le genou.

Il repoussa les cheveux qui lui tombaient sur les yeux et sourit.

– Ça m’apprendra à vouloir attraper un Jedi !

Obi-Wan l’aida à se relever.

– Tu cours vite.

– Voilà pourquoi tu as besoin de moi ! dit Jono. Laisse-moi te prêter main-forte. Il le faut ! Je venais pour m’occuper de la Reine. J’ai entendu ce qui s’est passé. Crois-tu réellement qu’on veuille l’empoisonner ? acheva-t-il dans un murmure.

– Je le crois, en effet.

– Beju a rameuté la garde. L’endroit n’est pas sûr, Obi-Wan. On te cherche déjà.

– Je prenais justement la poudre d’escampette, répondit Obi-Wan.

Jono fronça les sourcils.

– Mais pour aller où ?

– Je me cacherai quelque part en ville en attendant le retour de Qui-Gon.

– On te prendra, dit Jono. La cité fourmille d’espions. Je viens avec toi. Et je sais à quelle porte frapper.

– Et laquelle ?

– Celle de Deca Brun, dit Jono d’une voix ferme. Il ne nous refusera pas son concours.

 

Le quartier général de Deca Brun, situé dans un quartier de Galu particulièrement peuplé et animé, était perdu au milieu de boutiques et de tours résidentielles. Des banderoles rouges proclamant son nom claquaient quasiment à chaque fenêtre. D’énormes affiches montrant un Deca tout sourires tapissaient les murs. Tout en bas, il avait écrit de sa propre main en caractères gras : Je suis vous ! nous ne sommes qu'un !

– C’est Deca qui nous a fait comprendre que nous étions tous des Galaciens, dit Jono à Obi-Wan alors qu’ils s’approchaient du bâtiment. Avant, sur Gala, les liens familiaux étaient primordiaux. Les grandes familles de Gala – les Tallah, les Giba, les Prammi et les autres – bénéficiaient des faveurs de la cour. C’est Deca qui a dit que tous les Galaciens étaient frères.

Soudain, le visage du garçon s’illumina de fierté :

– C’est lui qui m’a fait prendre conscience qu’il y avait un monde à l’extérieur du palais.

Jono poussa la porte. Le bureau grouillait de membres de l’état-major. Certains tapaient sur des ordinateurs, d’autres, réunis en petits groupes, discutaient avec gravité.

Un homme grand et maigre aperçut Jono. Il lui sourit et, d’un geste de la main, l’invita à le rejoindre.

– Jono ! Tu viens nous offrir tes services ?

Jono s’avança vers lui.

– Sila, je te présente mon ami Obi-Wan. Nous devons voir Deca immédiatement.

Sila sourit.

– Comme nous tous, Jono. C’est une anguille, il est partout à la fois. Il fait des discours, rencontre de nouveaux partisans…

– Mais c’est très important, insista Jono.

Le sourire de Sila s’estompa.

– Je vois ça. Il doit être dans ses appartements. (Il hésita.) Suis-moi, dit-il finalement à Jono.

Obi-Wan hocha la tête à l’adresse de Jono pour marquer son accord et alla s’asseoir sur une des chaises placées le long du mur. Soudain, une jeune femme passa la tête par la porte.

– Il y a un meeting dans Thrush Street, dit-elle. Vous venez tous ? On a besoin de renfort.

Les membres de l’état-major de Brun se levèrent comme un seul homme, prenant au passage banderoles et pancartes laser.

– Assure la permanence ! lança l’un d’eux à Obi-Wan, qui acquiesça.

En un clin d’œil, la pièce se vida. Quelqu’un avait laissé un holodossier sur un bureau proche. Obi-Wan se pencha.

Un nom familier accrocha son regard. offworld.

Un frisson glacé lui parcourut l’échine. Qui-Gon et lui s’étaient récemment colletés avec la compagnie. C’était une société sans scrupule qui réduisait en esclavage des milliers d’humains de toute origine pour exploiter ses vastes complexes miniers. Elle pillait une planète, en épuisait les ressources naturelles, puis pliait bagage pour aller en dépouiller une autre.

Et Offworld était dirigé par le pire ennemi de Qui-Gon, Xanatos, son ancien apprenti.

Obi-Wan appuya sur la touche de défilement. Apparemment, Offworld avait donné des fonds importants pour financer la campagne électorale de Deca Brun. L’argent avait transité par plusieurs autres compagnies galaciennes ayant servi de prête-noms.

Obi-Wan referma le dossier et parcourut rapidement le répertoire, sans trouver d’autre mention d’Offworld. Puis il repéra un fichier intitulé COMPAGNIE MINIÈRE DE GALA.

Il y entra. C’était un projet détaillé visant à livrer la moitié de la minuscule planète à l’exploitation minière, y compris son océan, qui constituait l’essentiel de ses réserves en eau potable et abritait également les derniers représentants du peuple de la mer. On y prévoyait l’importation d’ouvriers en provenance d’autres planètes, la construction de spatioports pour accueillir les immenses vaisseaux de la compagnie et le « recrutement » de Galaciens pour travailler dans les mines.

La compagnie n’était qu’un prête-nom d’Offworld.

Deca Brun devait avoir donné son accord au projet en échange de la contribution financière d’Offworld pour soutenir sa campagne. Il prétendait que son trésor de guerre était alimenté par les dons des Galaciens, ce qui prouvait que ceux-ci le soutenaient en masse. Or l’essentiel de sa campagne avait été financé par Offworld.

Obi-Wan referma prestement le dossier et franchit à toute allure la porte par laquelle Jono avait disparu. Il devait le retrouver, décamper, avertir Qui-Gon…

Mais il se retrouva face à quatre blasters pointés sur sa poitrine. Quatre gardes se tenaient dans l’entrée, le dos contre une porte. Obi-Wan entendit cliqueter le verrou de celle qu’il venait de passer.

– Remets-moi tes armes, espion, dit l’un des gardes.

– Je ne suis pas… commença Obi-Wan.

Soudain, les blasters crachèrent le feu. Obi-Wan entendit siffler à son oreille une décharge qui percuta le mur derrière lui. Sous l’impact, des morceaux de pierre s’égaillèrent dans tous les sens. L’un d’eux lui entailla la joue.

– Remets-moi tes armes, espion, répéta l’homme.

Un autre garde s’avança et délesta Obi-Wan de son sabre laser et de son comlink.

– Sais-tu quelle quantité d’aliments est nécessaire pour nourrir toute l’organisation de Deca ? demanda-t-il sur le ton de la conversation.

Surpris, Obi-Wan secoua négativement la tête.

– Je vais te montrer, répondit le garde.

Et, de la pointe de son blaster, il poussa Obi-Wan en avant.

Ils l’emmenèrent dans une cuisine de vastes dimensions. Puis ils ouvrirent une lourde porte de duracier et, d’une bourrade, l’envoyèrent à l’intérieur. C’était un garde-manger. Partout, des caisses s’alignaient sur des rayonnages et des quartiers de viande pendaient au bout de crochets sur le mur du fond. Il y régnait un froid de canard.

Obi-Wan atterrit sur le sol de l’immense chambre froide. Il entendit le bruit de la porte qui se refermait et le cliquètement du verrou.